N°72 : VENDREDI 12 AOÛT 2016

EDITO

Les habitués savent ce qu’est un Banquet plus réussi que les autres. C’est une alchimie particulière, quelque chose qui relève de la précision horlogère : un Banquet est réussi lorsque s’installe un puissant dialogue à distance entre les intervenants. Questions, réponses, relances, tapis ! Quand une conférence répond à un atelier, qu’un film fait écho à une lecture ou un Rebond. Les fils souterrains se mettent en place, et chaque discours, chaque texte, chaque image en ressort plus fort de la force des autres.

Ainsi de la relecture que propose Jean-Claude Milner de la Révolution française – le livre sort à la rentrée, mais il y a consacré deux après-midi de séminaire très suivi – qui a trouvé ses échos dans les interventions de Sophie Wahnich, de René Lévy, et dans toute la série des conversations de Patrick Boucheron. Ainsi des réflexions sur marges et frontières, qui rebondirent entre Michel Agier, Emmanuel Ruben ou Marielle Macé. « La frange est la preuve ». Un autre accueil est possible.

Quelque chose comme une pensée qui s’élabore ensemble, mais seule : le Banquet. Après, on pourra toujours s’interroger sur la pertinence d’avoir à choisir entre 1789 et 1793. Et l’on essayera de faire entendre, au delà des caricatures et des mensonges, quel était le véritable projet cosmopolitique de ces hommes de la Révolution totale…

 

Sophie Wahnich pendant son intervention

Sophie Wahnich pendant son intervention

CHAPITEAU 1

Jeudi 11 août, conférence de 16 heures. Marielle Macé a changé de titre, pas de propos. Elle parlera bien des camps de sans papiers, de ces « bords en plein centre »… Mais elle préfère titrer sur : « Sidérer, considérer »…

TOMBÉ DU CAMION

par Antoine Beauchamp et Lina Mariou

SEPT VARIATIONS LEVINASSIENNES

Par Gilles Hanus

 

6- L’Infini

La métaphysique désigne chez Lévinas l’horizon dans lequel une conscience entre en relation avec un autre qui n’est ni un sujet semblable en quelque sorte à elle et qu’elle pourrait ainsi connaître, ni un objet enfermé dans sa forme et s’offrant de ce fait à sa prise. Cet autre particulier qui ne tient pas dans ses limites, Lévinas le nomme infini, reprenant d’une manière originale la tradition cartésienne. L’infini est l’objet du désir métaphysique, qui ne se confond pas avec le besoin parce qu’il n’est lié à aucun manque.

Nous trouvons en nous l’idée d’infini, dit le Descartes des Méditations métaphysiques, et cette idée est la seule dont notre conscience ne puisse être la cause car, partant du fini, on n’atteint jamais l’infini. La conscience pense donc quelque chose qu’elle ne peut produire. Lévinas y voit une remise en question radicale de la fermeture sur soi du sujet conscient, de son pouvoir constituant et, au fond, une sorte de « rupture de la conscience », bien plus décisive que toute preuve de l’existence de Dieu (objet de la 3° Méditation de Descartes).

Si la conscience nomme cette puissance de produire des idées, alors elle découvre en elle un point de fuite, une faille qui la dégrise et souligne sa non-suffisance à soi. Pour désigner le sujet affecté par ce réveil paradoxal de son rêve de toute puissance, la conscience confrontée à un sens qui la précède et qu’elle ne produit pas – mais qu’elle pense pourtant et doit penser – Lévinas proposera le nom de créature.

CHAPITEAU 2

18 heures. Deuxième conférence de l’après-midi. Jean-Claude Milner, profondeur et malice, parle du « Tout-autre » et prend comme exemple la finance, Christine Lagarde, et Dominique Strauss-Kahn…

FEUILLETON

Le 28 juillet dernier, on célébrait le soixante cinquième anniversaire de la Convention de Genève, et les réfugiés n’ont jamais été aussi nombreux, aussi perdus sur les chemins du monde.

Au cœur du village de Lagrasse, sur la petite place de la Bouquerie, un centre pour demandeurs d’asile accueille, depuis plus de trente ans, toutes les misères du monde.

Le CADA – Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile – héberge une cinquantaine d’étrangers pour toute la durée de l’étude de leur dossier. C’est son histoire que nous allons vous raconter, chaque jour, tout au long de ce Banquet d’été où les étrangers, en nous ou autour de nous, rôdent et questionnent.

NOS ANNÉES CINÉMA

Nous avions prévu cette année que le séminaire matinal sur le cinéma serait pensé et présenté par Mathieu Riboulet et Jean-Louis Comolli. Ils ont beaucoup travaillé ensemble, mais L’impondérable a rendu la chose impossible. Pourtant, en ce dernier jour de Banquet, nous allons, à distance, reconstituer le dialogue : Jean-Louis Comolli, qui a animé seul cette semaine d’images, a souhaité finir en projetant, ce matin à 10 heures, Le Pont du Nord, un film de Jacques Rivette, sorti en 1981, avec Bulle Ogier, Pascale Ogier, Pierre Clémenti, Jean-François Stévenin, et Benjamin Baltimore.

Mathieu Riboulet a écrit, il y a quelques saisons, un très beau texte sur le cinéma contemporain, qui porte un regard très passionnant sur ses enjeux, ses modes de production et son histoire. Il y est question aussi du Pont du Nord…

Aussi, un clic sur cette magnifique photo de Bulle et de Pascale vous mènera-t-il au texte…

Le Pont du Nord, Jacques Rivette, 1981

Le Pont du Nord, Jacques Rivette, 1981

L'OBJET DU JOUR

Jacques Joulé est un des premiers compagnons de route du Banquet. Avant même qu’il existe. Il tenait alors auberge sur la Promenade, juste en face de l’école, à l’emplacement de l’actuelle épicerie. A coups de coqs au vin et de canards farcis, il prit une place déterminante dans l’invention du Banquet et ses premières éditions. Sa table était pour nous encore ouverte, chaque nuit vers deux heures, lorsque nous bouclions enfin dans les salles de classe, le quotidien du jour, Corbières Matin. Aussi est-il juste qu’aujourd’hui, reconverti en brocanteur curieux, il trouve enfin sa place entre ces lignes numériques. Le principe de cette collaboration est simple : nous dénicher, chaque jour, un objet très étrange, plus petit que son histoire…

UN POULET POUR LE BANQUET

par Dominique Larroque-Laborde

 

Le polar, lecture de l’été ? C’est vrai pour beaucoup de gens, qui cherchent un peu d’évasion tout en restant au coeur des problématiques sociales et politiques du temps. Dominique Larroque-Laborde nous offre sept portraits d’enquêteurs cabossés, qui exercent autour de la Méditerranée…

 

(6) : le commissaire Elie Nahoum.

 

Si au cinéma tout est résolu en une heure et demie,

alors pourquoi pas dans la réalité ?

 

Non, le commissaire n’est pas bon enfant.

Et, au commissariat de police, on ne tombe pas toujours, et même jamais, sur un flic pittoresque, amusant, plein de reparties et de bons mots, prêt à vous livrer la recette du poulet aux pruneaux.

Le plus souvent, on a affaire, au mieux à un fonctionnaire consciencieux, méticuleux, amateur de dossiers bien ficelés, au pire à un arriviste qui fait du chiffre et boucle les dossiers à la chaîne pour améliorer son bilan statistique.

Liad Shoham

Liad Shoham

Mais qu’est-ce qui pousse un policier, certain de tenir un coupable, à reconnaître qu’il s’est trompé, à risquer sa carrière, à la grande satisfaction de ses collègues ravis de le pousser vers la retraite anticipée, à risquer sa vie même, pour trouver coûte que coûte le vrai coupable ?

Le commissaire Élie Nahoum, décidé à faire avouer le violeur qu’on lui amène sur un plateau, quitte à passer sous silence une petite irrégularité qui pourrait faire annuler la procédure, pourrait nous fournir une réponse, si nous le suivons dans les rues de Tel-Aviv, même après sa mise à pied.

Voilà qu’il n’est plus si sûr de la culpabilité de Ziv Névo…

Mais alors pourquoi celui-ci, qui avait si bien résisté à ce premier interrogatoire mené par lui de main de maître, a-t-il ensuite brusquement avoué ? Alors qu’Adi Reguev, qui croyait l’avoir reconnu, est prête à se rétracter. Et qu’un deuxième viol, si les collègues d’Élie avaient bien fait leur travail, auraient pu les mener vers un autre suspect ?

Au bout du compte, il s’est retrouvé sur un banc face à la mer, à contempler les vagues, retardant le plus possible son retour à la maison pour ne pas croiser le regard de ceux qu’il a déçus, alors qu’ils lui faisaient confiance jusque-là.

Blanchi sous le harnois, petit et maigre, un peu chauve, moustache fine et regard noir, Elie Nahoum a quelque chose d’un modeste Don Quichotte dans sa quête de la vérité à tout prix. Quitte à aller trouver tout seul chez lui un patron de la mafia locale, ou à se faire sévèrement rosser.

Et aussi un peu d’un Maigret : il sait se faire patient, et prendre un air bonasse, pour faire parler le père d’une victime, ou la vieille Sarah Glazer, qui a vu bien des choses, mais n’a rien dit à personne.

TELAVIVDEFPoliciers sous la pression de l’opinion publique, truands grands ou petits, magistrates débordées, journalistes avides de scoops, avocats plus ou moins retors, victimes ou suspects, chacun a sa raison de défendre sa peau, sa famille, ou sa tranquillité.

Fermer les yeux, laisser couler les choses, ou refuser qu’un innocent soit condamné, qu’une bombe explose au hasard ?

S’il franchit la porte à cet instant, il est sauvé. Mais la curiosité et l’envie d’élucider cette enquête sont plus fortes. Il n’y peut rien : du sang de flic coule dans ses veines.

Au bout du compte, on a trouvé des alliés, on a comparé les indices, on dégotte la vérité, un coup de théâtre va boucler l’affaire, le commissaire Élie Nahoum sourit pour la première fois à la page 349…

 

Tel-Aviv suspects, Liad Shoham, 2011, 10/18.

 

LE DESSIN DE FIN, ET A DEMAIN !...

dessin

 

 

 

François Bougon est journaliste au Monde.

Depuis le début du Banquet, il suit, son carnet de croquis à la main, les ateliers et les conférences.

Et il assiste chaque matin, dans la cour de l’école communale, à l’atelier de civilisation et littérature grecque de Dominique Larroque-Laborde…

LE PROGRAMME DU JOUR

9h
Balade dans la garrigue, avec Catie Lépagnole
9:30-10
Café Rebond à La Petite Maison, sur la promenade
10h
Atelier littérature et civilisation grecques, Dominique Larroque-Laborde, à l’école
10h
Séminaire Cinéma, Jean-Louis Comolli, réfectoire des moines, à l’abbaye. ATTENTION : MODIFICATION D’HORAIRE
11h15
Atelier de philosophie, Françoise Valon, cour de la librairie, à l’abbaye
12h30
Conversation sur l’Histoire, Patrick Boucheron, « Nous sommes séparés », dans la cour de l’abbé Auger, à l’abbaye
16h
« Pourquoi les nations se refusent-elles à mourir ? », Pascal Ory
18h
« Séparation et proximité », Gilles Hanus
21h30
Lecture du « Grand Vivant », Patrick Autréaux

ARCHIVES

CORBIERES MATIN 71


Nada !

« Non, parce que là, ça ne ressemble à rien !… » Porque eso, no parece a nada !… Effectivement.

CORBIERES MATIN 70


Hygiène du surplomb

« Il est doux, sur la vaste mer, lorsque les flots sont soulevés par les vents »…

CORBIERES MATIN 69


Sur la frontière

On ne peut pas suivre une frontière. On ne peut pas marcher dessus…

CORBIERES MATIN 68


Le cœur battant

Les ateliers sont le cœur battant du Banquet…

CORBIERES MATIN 67


C’est parti pour le Banquet 2016

Les choses importantes ont toujours un début et une fin…

CORBIERES MATIN 66


Cette honte bue

Personne ne se risquera à dire que nous ne savions pas. Ce qui se passe aujourd’hui en Grèce…

CORBIERES MATIN 65


Ce besoin de camps

Parce que dans cette région l’histoire de nos voisins espagnols est souvent mêlée à la notre…