Denis Vaya est, depuis quinze ans, le directeur du Centre d’accueil de demandeurs d’asile de Lagrasse. Depuis que le Centre a reçu l’accréditation qui l’a consacré dans sa vocation pérenne. Nous avons vu hier comment les hasards et les nécessités du monde ont transformé cette ancienne école de filles des Sœurs de Nevers en centre de vacances, puis en maison d’accueil pour les réfugiés. Aujourd’hui, Denis Vaya nous raconte le rôle de cette structure, et la vie qui s’y déroule, au fil des jours…
Le rôle du Centre d’accueil de demandeurs d’asile de Lagrasse est tout simple : accueillir des gens qui, fuyant des pays en guerre ou des situations dangereuses, souhaitent obtenir en France le statut de réfugié. C’est la préfecture de région qui les affecte à ce foyer installé au cœur d’une petite commune rurale. Ils y resteront entre un et quatre ans, tout au long de la procédure.
L’équipe du CADA aide d’abord les nouveaux arrivants à constituer leur dossier. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Pour quelles raisons ? Quels arguments justifient à leurs yeux l’obtention d’un statut de réfugié ?
Le dossier constitué, il est envoyé à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), dont la décision est souveraine. Plusieurs mois se passent avant que le demandeur ne soit convoqué : un officier de l’Ofpra le reçoit alors, et étudie avec lui son dossier : il l’interroge, demande des précisions, creuse tel ou tel point, le fait parler sur son parcours et ses espoirs. Quelques mois plus tard, la sentence tombe : la demande d’asile est acceptée, ou refusée.
Si elle est acceptée, le Cada entame un parcours d’insertion dans la société française. Si l’on excepte le droit de vote, le réfugié a les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’un citoyen français. L’équipe du Cada l’aide donc à chercher un appartement – en général, on commence par Carcassonne – et un premier emploi. Une fois autonome, le réfugié commence sa nouvelle vie.
Mais à peu près 70% des demandes sont refusées ! Un autre parcours semé d’embûches commence alors : un recours est déposé auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Devant cette cour, composée de magistrats, on se présente accompagné d’un avocat. Celui qu’on s’est choisi, ou plus généralement celui désigné par l’aide juridictionnelle. Et on y conteste la décision du directeur de l’Ofpra. Là aussi, les mois passent. Puis on est enfin entendu avec son avocat, et l’on peut défendre ses arguments. Enfin la réponse tombe, pile ou face : si le recours est accepté, on prend son envol dans cette société française, crispée et racornie, qui peine à retrouver son souffle. Mais on y arrive, la preuve : tous ceux qui, depuis des années, réussissent à se trouver une place.
Si le recours est refusé, on doit quitter le territoire national, et repartir dans son pays d’origine… Évidemment, ça se passe rarement comme ça. Et une fois tous les recours épuisés, les réfugiés glissent discrètement dans la masse invisible des sans-papiers…
Quoi qu’il en soit, la première chose qui frappe, lorsqu’on suit cette période d’instruction du dossier, c’est qu’elle est longue, très longue…
Reste ce drôle d’endroit, au cœur du village, qui résonne souvent de musiques, de chants et de cris inconnus. Cet étrange « camp » installé dans une magnifique bâtisse du XVIIIe siècle dont les ferronneries sont classées à l’inventaire national !
Quinze appartements bruyants, refaits à l’économie, qui offrent à douze ou treize familles un confort a minima. On ose à peine imaginer ce que donnerait la cohabitation de douze familles françaises lambda dans de telles conditions. De quoi certainement alimenter un feuilleton bas de gamme un peu vulgaire. Et pourtant, ici, malgré des moments forcément tendus, la vie est apaisée, tranquille…
Au Cada, les enfants sont rois. C’est souvent pour les protéger, pour leur imaginer un avenir de paix que les parents ont fui leur pays d’origine. Une fois arrivés à Lagrasse, ce sont eux, les gosses, qui vont s’adapter le plus vite, apprendre la langue française, servir d’interprète à leurs parents. Nous verrons demain comment l’école du village les accompagne et les aide. Mais dans un système imbécile qui interdit aux parents de travailler et d’apprendre le français, les enfants jouent le plus souvent un rôle déterminant…
Denis Vaya songe à la retraite. Il a passé une vie entière au service des réfugiés. Il dresse un bilan sans amertume de son engagement. Mais il constate aussi que les choses n’avancent pas beaucoup…